Paix Liturgique, comme chacun sait, se consacre entièrement à la promotion de la messe traditionnelle. Elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour en multiplier la célébration au profit des fidèles qui le souhaitent. Elle invite à y assister et dénonce les faiblesses intrinsèques de la liturgie nouvelle. Ce faisant, son attention se dirige particulièrement vers les paroisses ordinaires, où nombre de paroissiens « silencieux » voudraient pouvoir assister à la messe en forme extraordinaire, selon les dispositions de Summorum Pontificum, et ne le peuvent encore.
De sorte que, Paix Liturgique est favorable, sur le terrain, à la coexistence des deux liturgies : la plus sainte et la plus catholique, à la fin, ne manquera pas de gagner. De plus, ce combat liturgique exige des relations et des discussions avec les autorités ecclésiastiques de tous les niveaux et une disponibilité pleine et concrète envers tous les prêtres de paroisse bi-formalistes qui favorisent la renaissance de la liturgie traditionnelle.
On peut regretter que la Fraternité Saint Pie X ne se joigne pas à ce combat concret, sur le terrain « ordinaire », et se contente d’un témoignage externe – notamment par sa « Lettre à nos frères prêtres » –, qui est certes d’une grande valeur et d’un grand poids, mais qui est de moins en moins adapté à une situation qui a considérablement évolué (motu proprio de 2007 ; effondrement du nombre des prêtres ; évolution du nouveau clergé ; célébration de la liturgie ancienne par nombre d’évêques, etc.).
L’abbé Michel Simoulin, de la Fraternité Saint-Pie X, a publié en mai 2018 dans son bulletin Le Seignadou une réflexion sur les conséquences réelles ou supposées de la fréquentation par les fidèles – et surtout des prêtres ! – de l’Église officielle, de son clergé et de sa liturgie, dans laquelle il tente d’appeler ses confrères à une attitude plus adéquate. Cette lettre est intervenue dans le contexte suivant : la possibilité donnée par le Pape aux évêques de concéder aux prêtres de la FSSPX la capacité de recevoir le consentement du mariage. Nous le publions. Nous ajouterons ensuite nos propres commentaires. Ils vont au-delà ce qu’avait en vue l’abbé Simoulin. Ils ne prétendent pas se l’annexer, et encore moins annexer la mémoire de Mgr Lefebvre. Notre unique intention est de souligner la position de bon sens de l’auteur de ce texte, à un moment où certains de ses confrères dérapent dans des déclarations enflammées de repli sur soi.
I – TCHERNOBYL ? Éditorial de M. l’abbé Simoulin publié dans Le Seignadou de mai 2018, bulletin du prieuré St-Joseph-des-Carmes de Montréal-de-l’Aude, que nous publions avec l’autorisation de son auteur.
Comparaison n’est pas raison. En avril 2017, nous avons reçu le document par lequel Mgr Planet accorde aux prêtres de la Fraternité la faculté de célébrer les mariages dans son diocèse. Que fallait-il faire ? si j’en crois certains bons conseilleurs, il aurait fallu lui renvoyer son texte ! Nous ne l’avons pas fait, car cela aurait signifié un rejet de son autorité.
En décembre dernier, j’ai célébré dans une paroisse d’un autre diocèse un mariage avec la délégation reçue de l’évêque et du curé… j’ai préparé moi-même les époux et établi le dossier que j’ai transmis au diocèse… j’ai reçu les consentements des époux et célébré la messe en présence du curé qui a enregistré le mariage dans les registres paroissiaux… Le plus intéressant est que, en 1984, j’avais reçu les consentements des parents de la fiancée dans une autre paroisse, dans les mêmes conditions ! Incorrigible récidiviste, je ne m’en repens pas ! Au contraire, je suis disposé à recommencer !
En effet, lors de ce mariage, à aucun moment, je n’ai été soumis à quelque influence « conciliaire » que ce soit, et il me semble n’en avoir subi nulle contamination, et n’avoir pas soumis les époux à quelque contamination que ce soit !Je suis le même après comme avant, toujours fidèle aux sages conseils de Mgr Lefebvre qui, entre nous, parlait plus souvent d’Église officielle que d’Église conciliaire. Il n’aimait pas ce terme.
Il est vrai que lorsque survient une explosion nucléaire, nul ne peut être à l’abri, grand ou petit, fort ou faible, sain ou malade… tous sont atteints :pulvérisés ou contaminés ! Mais si nous comparons le concile Vatican II à une semblable explosion, ne devons-nous pas éviter quelque exagération dans l’image utilisée ? Car il n’en va pas dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre matériel ou physique ! Grâce à Dieu, la vie de l’esprit ne répond pas aux mêmes critères que la vie du corps. Et il se trouve précisément que lors de l’explosion conciliaire, certains n’ont été ni pulvérisés ni contaminés : la contamination n’a pas été universelle ! Quand elle agit sur les corps, nul ne peut s’en protéger ! Mais quand il s’agit des âmes, son effet n’est pas inévitable, et les âmes bien nées, bien armées des « anticorps » traditionnels, qui s’en nourrissent, en vivent et se protègent avec prudence, n’ont rien à craindre de cette radioactivité conciliaire ! Ainsi certains évêques que nous connaissons bien ont résisté et nous ont même transmis les anticorps qui nous ont préservés et nous préservent encore de céder aux facilités conciliaires.
Sans doute le danger existe, et nous connaissons bien des confrères, des congrégations amies, des fidèles qui se sont laissé séduire, et ont été contaminés. Mais comment cela s’est-il fait ? Lassitude du combat ? Découragement ? Ambition ? Deus scit !
Certes il nous faut être prudents, mais je persiste à dire qu’il ne faut pas avoir peur de cette radioactivité contre laquelle nous nous protégeons grâce à Mgr Lefebvre depuis presque 50 ans sans en avoir été atteint ! Deo Gratias !
Ce qui me rassure, c’est que Monseigneur lui-même n’a pas été épargné par de semblables reproches. Je me souviens d’un pamphlet écrit le 1er juillet 1980 intitulé : « RALLIONS-NOUS : L’EXEMPLE VIENT D’EN-HAUT ». Le plus simple sera de le lire ou relire :
– En ce lundi 30 juin 1980, le glas sonne à l’église Notre-Dame des Anges de Tourcoing (Nord). Ce sont les obsèques de Mme Monique Lefebvre, belle-sœur du célèbre prélat Monseigneur Lefebvre. Le clergé sort de la sacristie et s’en va accueillir la défunte. Hormis les enfants de chœur, il y a dans le cortège un prêtre en « tenue de Taizé », c’est-à-dire avec une aube blanche, sans cordon, – mais avec un capuchon. Pour l’occasion, il a passé une étole violette de coupe moderne. Derrière lui, le célébrant – avec une chasuble violette. Décidément, le noir, couleur du deuil ne se fait plus dans l’église postconciliaire : il faut évacuer ce qui rappelle la mort et l’au-delà. Et, oh surprise !, arrive le prélat d’Écône, soutane noire, surplis de dentelle, camail et calotte violets, croix pectorale. Il est encadré de deux hommes à lui, les abbés Simoulin et Ferrie en soutane et surplis. [NB : je venais d’être ordonné au sous-diaconat le 27 juin]. Vraiment curieux, on n’était pas habitué à voir Monseigneur en si progressiste compagnie et de surcroît dans une église réservée au nouveau rite ; les salles des fêtes et les hangars lui étaient plus familiers.C’est au son du Requiem en latin que le cortège remonte la nef centrale. Le clergé local s’installe aux micros, les trois invités montent dans les stalles sculptées, à deux pas de la table tournée orgueilleusement face au peuple. Le rituel commence. On vous reçoit au nom du Dieu de l’Espérance, un membre de la famille vient lire un texte, on chante un Kyrie, un Alléluia précède l’Évangile. Le prélat, très digne, suit le déroulement d’une cérémonie qui ne doit pas être dans son missel. Il se signe sur le front, les lèvres, la poitrine, preuve de sa participation au culte moderniste. Le sermon, au cours duquel le prêtre tutoie la défunte, nous apprend beaucoup sur sa vie terrestre. Il n’effleure pas l’éternité ou plutôt, nous assure d’un avenir serein. Purgatoire, Enfer, Paradis, où êtes-vous donc passés ? Après une offrande où environ cinq cents personnes viennent baiser le Christ et déposer une obole pour de futures messes, nous assistons à la célèbre prière universelle. Une jeune fille, apparemment de la famille, vient nous lire quelques intentions dont l’une particulièrement croustillante donnait à peu près ceci : « Prions pour l’unité de l’Église dans la diversité des expressions ». Une rengaine ponctuait les intentions. Avec le début de l’Offertoire, le prélat enlève sa calotte et se prépare à assister à la suite des événements. Après un beau Sanctus très latin, commence une consécration très française. Les trois gens des stalles se mettent à genoux à l’approche du sacrifice, les enfants de chœur et le curé « façon Taizé » ne peuvent pas faire moins ; les fidèles restent debout. Les paroles de la consécration arrivent après quelques courtes phrases, le prêtre fait uniquement une légère inclination de la tête, la dame préposée à faire chanter les fidèles vient nous proposer un refrain. Ce n’est qu’avant le Pater que Monseigneur et les deux abbés se relèvent. Ils ont donc assisté d’une façon active et recueillie à une nouvelle messe dite de Paul VI.Le temps presse. À la communion, une bonne sœur se voit refiler un ciboire afin d’activer la distribution. Tout le monde debout, mais vous avez le choix entre la main ou la langue. Encore quelques paroles, une prière et la première partie s’achève. C’est alors que Monseigneur, assisté de ses deux fidèles abbés, revient, chape violette sur le dos, mitre sur la tête. Il fera l’absoute selon le rite catholique. Pour terminer, un petit chant en l’honneur de la Vierge « Le Seigneur fit pour moi des merveilles » et le « In paradisum » pour prouver qu’on aime les traditions et le latin. Monseigneur devait-il assister à une messe de Luther, fût-ce pour les obsèques de sa belle-sœur, devait-il y participer activement ? Que doivent penser les jeunes prêtres ordonnés pour le maintien de la sainte Messe, de voir le patron filer dans la boutique d’en face ? Pour un prélat, pour une personne dont les responsabilités morales sont énormes, pour un exemple à des milliers de catholiques, peut-il y avoir des cas particuliers ? Et demain le simple fidèle pourra aller aussi bien à la synaxe qu’au Saint-Sacrifice puisque… l’exemple vient d’en-haut.
Quant à nous, nous sommes ressortis de la cérémonie tels que nous étions en y entrant, et Monseigneur ne me semble pas en avoir été contaminé ! Je dirais même que ce genre de cérémonie ne peut que vous immuniser encore davantage contre toute contamination conciliaire ! Dans la voiture qui nous ramenait, Monseigneur plaisantait sa sœur Jeanne, religieuse adoratrice, en lui demandant : « Alors, Jeanne, quand est-ce que tu te convertis ? » (tout en nous adressant un clin d’œil malicieux !)
Je n’en dirai pas plus, et ce sera là mon ultime conclusion ! Que le Cœur Immaculé de notre si Bonne Mère nous garde tous bien unis et fidèles à l’esprit de notre fondateur.
« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. »
Abbé Michel Simoulin, FSSPX
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) En bonne logique, on pourrait reprocher à l’abbé Simoulin de raisonner en rapprochant des cas assez hétérogènes : lui-même a célébré des mariages traditionnels avec une permission officielle ; Mgr Lefebvre, pour des raisons familiales a assisté à une liturgie d’obsèques nouvelles (il venait de publier un fascicule dénonçant « La messe de Luther », ce que rappelle implicitement l’auteur du pamphlet). Il y a même participé, puisqu’il a chanté l’absoute – absoute traditionnelle il est vrai. Mais ne chinoisons pas : on comprend bien l’intention de l’abbé Simoulin, qui est d’inviter ses confrères à sortir d’une auto-ghettoïsation. Par ailleurs, cet événement – le fait pour Mgr Lefebvre d’assister à une messe moderne – évoqué par l’abbé Simoulin, est celui auquel sont confrontés chaque dimanche des centaines de milliers de catholiques en France et des millions de fidèles de par le monde… tous ceux en effet qui ne peuvent assister, comme ils le désireraient, chaque dimanche, à la messe traditionnelle célébrée dans leur paroisse, et qui n’ont souvent même pas la possibilité d’aller y assister près de chez eux. Rappelons qu’il y a en France environ 4400 paroisses officielles et que la forme extraordinaire n’est célébrée au mieux que sur le territoire d’un peu plus de 10 % d’entre-elles… Pire, il y a encore en France trois diocèses (Viviers, Langres et Cambrai) ou n’est célébrée aucune messe selon la forme extraordinaire, ni dans le cadre diocésain, ni par la FSSPX, alors que les sondages réalisés par Orémus-Paix-Liturgique démontrent que partout en France plus d’un tiers des catholiques pratiquants français assisteraient volontiers à la messe traditionnelle chaque dimanche ! Ces fidèles qui se sentent obligés d’assister à la nouvelle messe peuvent-ils s’appuyer sur cet épisode de la vie de Mgr Lefebvre ? Le motif de Mgr Lefebvre était familial ; d’autres motifs proportionnés, pour parler comme les moralistes, peuvent se concevoir. Surtout si, comme Mgr Lefebvre, les fidèles concernés peuvent y introduire un élément traditionnel, comme on le dira plus loin. Bien que, à coup sûr, ce ne soit pas le but de l’exposition de l’abbé Simoulin.
2) Observons donc maintenant l’attitude du bon prélat lorsqu’il estime devoir assister à une messe « ordinaire » : que fait-il ? Il se signe, il s’agenouille, il se recueille, il se tait… Il est clair qu’il nous enseigne par son exemple la manière dont nous devons nous comporter dans une situation semblable. Mgr Lefebvre nous montre comment nous pouvons et devons témoigner qu’en assistant à la messe nous assistons véritablement au renouvellement de l’unique sacrifice du Christ sur la Croix, en la présence réelle du Christ. C’est là un acte de foi et certainement pas la participation à une réunion profane ou à un spectacle…
2 bis) Ajoutons qu’en tant que fidèles nous aurons, le plus souvent, et en plus de ce que fit Mgr Lefebvre, à aller communier au corps du Christ. Le ferons-nous comme des moutons suivants les habitudes irrespectueuses modernes ou le ferons-nous avec la révérence et la piété nécessaire en communiant au moins sur les lèvres, si possible en ayant manifesté notre foi en la présence réelle par une génuflexion ou mieux encore comme le font de plus en plus de fidèles en communiant à genoux devant le prêtre ?
3) IMMUNISATION. Oui, le mot de l’abbé Simoulin est juste, et tous ceux qui par obligation ou par choix militant – notamment car ils sont demandeurs dans leur paroisse d’une célébration selon la forme extraordinaire – assistent dans leurs paroisses à la liturgie ordinaire l’expérimentent : plus ils assistent à la nouvelle messe, plus leur adhésion à la messe traditionnelle croît et s’enracine davantage en leur âme. Loin d’être contaminés par les pratiques modernes, ils désirent toujours plus que soit célébrée dans leur paroisse une messe « extraordinaire » où les saints mystères seront célébrés dans le silence, la piété et le recueillement et non dans le chaos, le bruit et le bavardage.
4) Tous ceux qui sont qui ont fréquenté un jour ou l’autre les célébrations modernes souriront en souvenir des « belles paroles » que souvent, très souvent, ils auront entendu lors de ces célébrations : « Aimons nos frères comme ils sont et non pas comme nous voudrions qu’ils soient », « Accueillons l’autre tel qu’il est », etc. Splendides exemples de cette magnifique « langue de buis » qui chante à nos oreilles depuis 50 ans dans nos églises et qui nous illustrent bien sa grande superficialité. De « belles paroles » rarement suivies d’actes, surtout en ce qui concerne les fidèles traditionnels : presque toujours, dans ces paroisses, au lieu d’être aimés et écoutés, nous sommes volontiers méprisés, critiqués ou rejetés et presque toujours appelés aimablement à « aller ailleurs ». Chez les « lefebvristes », généralement.
5) Oui la fréquentation du monde officiel, y compris liturgiquement, ne produit pas de contamination pour qui a de solides convictions, au contraire. Nos sondages montrent d’ailleurs que plus d’un tiers des fidèles qui ordinairement assistent à leurs messes paroissiales ordinaires ont le désir de vivre leur Foi catholique au rythme de la messe traditionnelle ! Si les nouveautés conciliaires et liturgiques peuvent être comparées – « comparaison n’est pas raison », dit l’abbé Simoulin – à Tchernobyl en ce qui concerne la déflagration produite, il n’est pas possible cependant de parler de contamination irréversible. Ce serait nier la grâce de Dieu, le sensus fidelium et même la pérennité de l’Église.
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