Il y a quelques mois à peine (juin 2013), la mort d’Yves Bertrand a à peine fait les entrefilets de journaux. Prompts à aller creuser les histoires sur les ministres en exercice et l’argent des labos, ou d’autres sujets pour le moins opaques, les journalistes n’ont visiblement pas eu l’idée d’aller creuser cette mort au mieux suspecte, M. Bertrand ayant été “retrouvé mort” chez lui. Pas d’explication, comme si retrouver quelqu’un mort chez lui à 69 ans était courant, surtout lorsqu’il s’agit d’une personnalité comme lui.
Dire que M. Bertrand pouvait avoir de nombreux ennemis est un euphémisme. Pourtant, d’un autre côté, il peut passer pour une anguille caméléon, capable de s’adapter à tous les gouvernements, étant resté à des postes importants de la DGSE pendant près de 20 ans, avec des ministres de gauche comme de droite. La rumeur qui court sur les forums et articles, comme quoi il était juste alcoolique et au bout du rouleau, laisse perplexe (cf. http://forums. france2.fr/fra nce2/On-n-est- pas-couche/oli vier-metzner-b ertrand-sujet_ 29390_1.htm)
C’est pourquoi j’ai décidé de lire son livre daté de 2007, “je ne sais rien, mais je dirai tout”. Qu’avait-il à révéler au public, et cela a t-il pu l’exposer ? En avait-il gardé sous le coude afin de faire pression sur d’autres ministres, et a t-il pu être liquidé avant de parler ?
La lecture de ce livre s’est révélé une déception. Un homme qui est resté si près du pouvoir pendant des années, jonglant avec la gauche et la droite, doit forcément avoir des amitiés bien placées et des secrets bien gardés. Il faut croire qu’il a voulu garder ses amis, car de vraies révélations dans ce livre, il y en a peu, et sur des détails, sur des affaires déjà connues.
En fin policier, l’homme sait bien que lancer une nouvelle affaire dans un livre le rendrait attaquable en justice, et en acte par ses nouveaux ennemis.
Du coup, dans son livre, tout le monde est gentil. A part Jospin qui est pour lui la pire pourriture, du gars d’extrême gauche qui cache ses vraies motivations, les autres qu’il a côtoyés, de gauche ou de droite, sont tous fantastiques.
Son livre est peut-être une manipulation de plus pour apparaitre à son avantage. Vrai ou faux, en tout cas après lecture du livre, Yves Bertrand apparait comme un homme dévoué avant tout à la cause de la république, quel que soit le parti régnant, il faut fournir les bonnes informations au gouvernement et le protéger, ensuite c’est le ministre qui décide ce qu’il veut faire.
Bon, il reconnait quand même à demi mot qu’il a toujours roulé pour Chirac, contre ses différents ennemis (socialistes, Balladur voire Sarkozy, selon les moments). Et tacle quelques personnes comme Pasqua ou son successeur à la DGSE. Mais rien de bien méchant.
Si il est sincère, tout ce qu’il avait comme info à l’époque a été fourni aux autorités. Ce “tout” contient-il encore des secrets d’état non révélés ? Nous n’en saurons pas plus. Mêlé de près aux grosses affaires des dernières décennies, Pasqua, les cassettes Méry, Clearstream.. il donne à chaque vois une version convaincante et renforçant (comme par hasard) les thèses officielles.
Il n’y a qu’un moment où sa ligne dévie : il avoue à plusieurs reprises, dans ce livre et en dehors, ne rien avoir contre le Front National et être partisan d’une alliance de droite entre UMP et FN. Ces propos ont été réitérés à des journaux en 2011 et apparaissent en bonne position quand on recherche son nom sur Google, bien qu’il n’y ait eu aucun ralliement au FN de sa part.
Venant d’une personne très laïque, clamant dans son livre n’être ni “bigot” ni franc-maçon (mais enfin un FM reconnaissant ouvertement l’être, ça n’existe pas sauf s’il est acculé), une “conversion” au FN semblerait difficile, même dans sa version “Marine” édulcorée. Donc une hypothèse de sa liquidation parce qu’il allait se rallier au FN ou faire des révélations sur l’UMPS, cela semble peu probable.
Bertrand s’inquiète aussi de la montée de l’islamisme en France, un phénomène qu’il a été le mieux placé pour constater et qu’il explique fort bien. On peut le résumer par la prise de pouvoir progressive des mosquées islamistes soutenues par l’Égypte et l’Arabie Saoudite (les fameux UOIF et frères musulmans) dans les banlieues, dans les années 80 et 90, auprès de la 2e génération d’immigrés. Une prise de pouvoir qui culmine avec les attentats de 1995. Pour autant, il n’y a aucune raison non plus qu’il ait été la cible de fanatiques, au beau milieu de sa retraite paisible.
Dans un élan de de vérité, Bertrand avoue même, ce que nous savons déjà, page 204 de son livre, que Al Qaeda n’existe pas, mais que c’est un mot qui a été inventé par les services secrets américains et les médias, pour mettre dans le même sac tous les islamistes et donner l’illusion d’une organisation mondiale unifiée, nécessitant une réponse mondiale. On sait tous qu’en réalité, ce que les médias appellent désormais la “nébuleuse Al Qaeda” n’est en fait que quelques dizaines de groupes isolés ayant adopté la “marque” Al Qada comme une sorte de franchise.
Bref, pour en revenir à Yves Bertrand, quasiment personne sur internet ne s’est posé la question de la cause de sa mort, quelques forums en parlent sans avoir plus d’info que les entrefilets de journaux. Pas de Rue89 ou de Mediapart pour un homme qui en savait plus que bien des Snowden et autres corbeaux réunis. Étrange.
Surtout quand le Figaro répand la rumeur qu’il est mort “d’un lent suicide.. au whisky”. Pour quelqu’un qui écrivait encore un livre en 2009, la soi disant descente aux enfer semble rapide. Sa mort pourrait elle être liée à une volonté de révéler des secrets sur des affaires de Sarkozy, donc de la droite ? Metzner, qui avait montré comment Bettencourt avait aidé Sarkozy, est mort aussi mystérieusemen t en mars. Coïncidence ? On ne le saura jamais. La mort de Bertrand s’inscrit dans la longue suite de règlements de compte “discrets” qui ont eu lieu depuis l’arrivée de Hollande au pouvoir : préfets mutés, patrons de grandes sociétés semi-publiques , d’organes d’états.. le tout au milieu des histoires de compte à l’étranger de ministres… de là à suspecter la gauche et le gouvernement ?
Il n’y a pour le moment de piste, ni dans un sens ni dans l’autre. La thèse officielle reste la crise cardiaque, et peut-être qu’il s’agit seulement de ça. Avis aux détectives amateurs.